Je me suis rendu compte récemment que j’ai une échelle intérieure.
Une sorte d’estimation silencieuse.
Immergé dans un groupe, je demeure rigide et austère.
Souriant dedans et froid dehors
Quand je suis dans la rue, dans un bus, dans un café,
mon corps évalue.
Il observe les visages, les postures, les voix.
Et sans que j’aie besoin d’y penser,
il calcule :
“Est-ce que c’est sûr ici ?
Est-ce que je pourrais me défendre ?
Est-ce qu’il pourrait se passer quelque chose ?”
Avant, je ne savais pas que je faisais ça.
Ça se passait en arrière-plan.
Comme une fonction automatique.
Une veille permanente.
Aujourd’hui, je le vois.
C’est ça qui a changé.
La conscience.
Quand je croise une bande de jeunes,
quand un homme parle trop fort,
quand un regard accroche le mien trop longtemps,
quelque chose se tend puis je relâche.
Une alarme douce.
Une possibilité d’attaque, même si rien ne menace.
« on se sait jamais » me dis-je !
Et pourtant, je sais que je ne suis plus l’enfant
qui devait anticiper, deviner, éviter.
Je sais que le lycée est loin.
Que l’enfance aussi.
Je sais tout cela, mentalement.
Mais le corps, lui, continue d’assurer la veille.
Comme s’il n’avait pas reçu la mise à jour.
Aujourd’hui je le vois faire, je relativise.
Je l’observe évaluer la sécurité autour de moi.
Je ne le combats pas.
Je ne le juge pas.
Je lui laisse finir son scan et je reste évitant, détaché, distant…
Puis je lui dis simplement, intérieurement :
“Il n’y a plus de danger.
On peut être ici.”
Parfois, ça suffit.
Parfois non.
Mais déjà,
ne plus ‘confondre’ le passé et le présent,
c’est une ouverture.
Une respiration.
Un pas hors de l’alerte permanente.



