Quand le corps vit encore dans l’avant
Il y a des jours où je sens que ma vie va bien.
Le confort est là. L’amour aussi.
Les choses se posent, doucement.
Je pourrais, à ce moment-là, me détendre.
Être là. Profiter. Ressentir.
Mais ce n’est pas si simple.
Parce qu’en moi, une autre réalité existe encore.
Plus ancienne. Plus profonde.
Un état de vigilance.
Une sensation que « ça pourrait basculer ».
Une part de moi qui continue de vivre comme si le danger n’était jamais vraiment passé.
Et pourtant, aucun souvenir dramatique ne vient l’expliquer clairement.
Ce n’est pas une image. Pas un événement isolé.
C’est un état.
Un climat intérieur.
Le corps ne ment pas
On parle souvent du traumatisme comme d’un souvenir douloureux.
Mais ce n’est pas toujours ça.
Selon Bessel van der Kolk, « Le trauma n’est pas dans l’événement, mais dans le système nerveux. »
Il s’installe comme une empreinte corporelle du passé.
Une mémoire implicite.
Un filtre à travers lequel je ressens le monde.
Alors même quand tout va bien autour de moi,
une partie de moi continue d’agir comme si tout pouvait s’effondrer à tout moment.
Je prépare l’après.
Je pense à demain.
Je me projette, je sécurise, je contrôle.
Et le présent devient flou.
Comme inaccessible.
Entre deux mondes
Ce paradoxe est difficile à porter :
Je veux être là.
Je veux vivre maintenant.
Mais une autre part de moi n’a pas encore intégré que le présent est sûr.
Cette part-là reste en veille.
Elle organise.
Elle scanne.
Elle doute.
Et moi, au milieu de tout ça, je tente d’habiter un corps qui vit à plusieurs temporalités.
Une part au présent.
Une part figée dans le passé.
Une part déjà tendue vers demain.
Et pourtant, je sais…
Je sais que la paix ne viendra pas de l’extérieur.
Qu’elle ne viendra pas non plus d’un effort de volonté.
Mais peut-être d’un lâcher progressif, d’un apprivoisement.
D’un dialogue entre mes parts.
Je peux apprendre à dire à mon corps :
“C’est maintenant. Tu n’as plus à te défendre.”
Même si au début, il ne me croit pas.
Et si la vraie liberté commençait là ?
Pas dans un changement de vie.
Pas dans un grand projet.
Mais dans ce simple retour à la présence,
même fragile, même ponctuel.
Être là, sans devoir fuir.
Sans devoir tout comprendre.
Sentir, au fond, que je suis vivant, et que je ne suis plus en danger.
Peut-être que c’est ça, guérir.
Non pas effacer le passé,
mais cesser d’y vivre malgré moi.