Je les appelle Mme.K, Mr D… et pourtant Julie la caissière par son prénom.
J’appelle moins de personne par le prénom.
Du moins, pas ceux qui comptent vraiment dans ma vie.
Ma thérapeute est devenue Madame B.
Mon ancien collègue, Monsieur D pour David
Une amie proche, Madame F pour Fanny
C’est une habitude qui a commencé avec les gens que je n’appréciais que peu.
Ceux qui m’agaçaient, me mettaient mal à l’aise.
C’était plus facile de les nommer à distance, comme des personnages secondaires. Ça leur rendait moins d’importance ou de force ou de poids dans le lien relationnel.
Mais peu à peu, ça s’est étendu.
Aujourd’hui, même des personnes importantes portent ces noms à majuscule.
Une lettre, un titre, un flou poli.
Nommer les gens ainsi, c’est les maintenir à une certaine distance.
Une distance qui me protège.
Pas forcément de la personne, mais de ce que sa présence pourrait réveiller en moi.
Et puis je réalise… que j’appelle les inconnus par leur prénom.
Julie, la caissière.
Karim, le téléconseiller.
Thomas, le serveur.
Parce qu’eux, je peux les nommer sans danger.
La relation est courte avec un début clair et une fin nette.
Le lien est bref et cadrer.
Il ne m’engloutira pas, il ne m’engage en rien.
Il y a dans ce geste une forme de paradoxe tranquille :
plus le lien est neutre, plus je peux le nommer.
Plus le lien est profond, plus j’ai besoin d’un filtre.
Je crois que ça me protège.
Je ne veux pas me perdre dans les prénoms.
Un jour, peut-être, je pourrai les appeler autrement.
Redonner un prénom à Madame B.
Rendre leur visage réel à ceux qui m’entourent.
Mais pour l’instant, ces noms codés me permettent d’être en lien distant… sans trop me brûler.
C’est un équilibre fragile.
Mais c’est le mien.